mardi 15 juin 2010

Les gerçures

Comme il fait chaud, j'ai écrit un texte sur le froid; normal.

"Comme si la lèpre bouffait mes doigts, c'est drôle. Il faudrait que je sois le seul, pas possible autrement. ça n'existe plus ici.
Ils tombent, les doigts, pareils aux sentences; ça effraie quand bien même on savait que ça devait arriver. Et surtout, c'est irréversible.
Un chien errant, jaune paille, sentant la pisse et la faim, un de ces compagnons d'infortune qu'on plaint autant qu'on craint, se repaît de mes chairs perdues, mes chairs disparues. Je me lèche les doigts comme il se lèche le cul, avec amour, pour apaiser les brûlures.
Il rigolerait bien, le cabot, s'il existait, mais ça n'est pas vrai, ce n'est que le froid qui me gerce les doigts. Dommage. La lèpre a de la gueule, elle est un peu canaille, un rien vieille France et ça plaît.
S'il en était ainsi, je dresserais mon poing glabre vers le ciel qui n'y serait pour rien et qui s'en foutrait. Des larmes noires me ruisselleraient le long des bras jusqu'aux aisselles, se mélangeant à la sueur et aux poils. Et si l'ironie s'y mettait, elle me laisserait le majeur un peu plus longtemps que les autres doigts, le temps d'injurier le monde en silence, sans même y penser.
Alors je marcherais droit, entraînant à ma suite le bâtard jaune aux côtes saillantes, à l'oeil torve, et noir, et rouge, qui me dégusterait morceau par morceau.
Enfin, à l'heure où l'on me mènerait à mon trou, dans un corbillard délirant, le chien galeux fermerait la marche; et me pleurerait sincèrement, lui.
Mais ça n'est que le froid. "
Yannick Darbellay

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