mercredi 29 décembre 2010
jeudi 16 décembre 2010
Le fémur
mercredi 6 octobre 2010
Le roi pêcheur
Accoudé à ma fenêtre, mon petit cadre, mon unique tableau,
je contemplai les ruines de ma jeunesse.
J’avais la morgue aux lèvres et le front chargé d’embarras.
Ça ne tournait pas rond dans ma caboche.
Alors j’abandonnai les hommes.
Le voyage prodigieux !
J’embarquai sur mon voilier de fortune, moi qui n’en avais guère.
Je partis sans tarder, m’allumant sous le crâne, ce qu’il faut d’aventure pour braver l’océan.
Ça oui, ça me courait sous l’épiderme.
Je le pris comme une amoureuse, le large,
je le troussai, me frottant au soleil,
m’en gorgeant tel un fruit brûlant d’amour ; avant que d’en pourrir.
Ce jour-là, j’abandonnai les hommes,
Et je partis vers l’inconnue.
Je m’éveillai bosco, paré comme un prince russe,
les bras tatoués d’illusions et d’Amérique.
Non, je ne rêvais pas, je le vivais, mon grand périple !
Je fendais le ciel fané, harassé de chaleur, qui s’écroulait sur ma frêle équipée.
Et j’avais mal de trop de désir.
Je m’ensalais d’embruns, me cuisais le regard au fond, là-bas,
dans le dense horizon, sidérant de pâleur.
Sans frémir, je filais au travers de toutes les exhalaisons
De toutes les vapeurs de sudations de toutes les mers du globe.
J’étais le plus courageux des hommes,
j’étais un pirate avec des étoiles dans la barbe
Pleurant de lumière et d’espoir.
Enfin je pouvais crier !
De toute ma joie, je gueulais aux poissons aux quatre vents et à tous les oiseaux
combien j’étais heureux.
Ça les faisait frémir, les albatros froufroutants qui s’amusaient à faire clignoter le soleil,
en dansant avec la misaine.
O la belle insouciance !
Et tandis que la proue déchirait le voile hébété de ma dormance,
la poupe égarait des fragments d’oubli, constellant les flots verts de tâches éblouissantes.
Je jouais au chercheur d’or au milieu des tourments tapissés de trésors.
Je laissais derrière moi tous mes crève-cœur, tous mes regrets.
J’avais quitté les hommes,
J’allais sur mon navire.
Je désirais voir la mer,
les mers
L’océan Pacifique
mer de Corail, mer de Florès
mer Rouge, Jaune, Noire
mer d’Azov
mer Baltique
océan Atlantique
Les Caraïbes, l’Amérique.
Je les voulais toutes, et plus que ça,
Je voulais voir Cuba.
Je pourchassais les alizés
N’ayant de cesse que je parvinsse aux Iles du Vent.
Je voulais être explorateur
J’étais explorateur revenu de Crimée,
Du genre frondeur et flegmatique,
Mangeur d’Afrique enturbanné
arborant à la hanche un sabre d’orient,
sir britannique guidé par les frégates superbes.
Curaçao, rumba
Je voulais fouler les fougères des forêts chatoyantes, puis,
dans la ramure des acajous, si hauts si beaux, voir les Aras diaprés qui jacassent
près de toucans toqués.
Toc toc tout à trac.
Les étourneaux, je voulais les épier aussi,
les écouter pépier
si petits, si petits.
si, si! Par là, pas par-ci.
Choc choc,
Par là, pas par là ; par là, pas par là.
Une grenouille coasse.
Quoi? Crôaa!
La jungle,
la jungle j’espérais m’y planquer comme un révolutionnaire en cavale.
Me voilà boucanier.
J’avais vécu quantité d’abordages, pillé tous les galions, tué des ennemis de poussière.
Bon sang que j’avais soif, soif de mon île,
soif de ses jotas sensuelles.
Dis, sers-moi des mojitos, pour quelques fleurs de porcelaine.
J’avais quitté les hommes
Et toujours, et vaille que vaille, je traçais mon roman.
Je voulais m’agrafer au cœur un tas de souvenirs,
de quoi remplir ma soute
pour quand je rentrerais,
pour quand ça serait fini.
Ça n’avait même pas commencé
et je voulais savoir déjà,
je voulais la toucher, mon île ;
je voulais voir pour croire.
J’y croyais, j’y croyais,
comme en mon père
Et je chantais de toute ma vilaine voix.
Ça y allait la rengaine, hisse et ho,
J’étais pur et ça y était;
après l’étrave je gueulais
plein d’euphorie.
Et alors tout à coup l’embarcation éventra un banc de poissons volants,
et ça me donnait de la voix !
Ça venait de partout, de dedans, de dehors, frontal,
et vlan!!
J’étais le roi pêcheur dans le brasier des exocets voltigeurs.
Ils bondissaient sur la houle,
ils échappaient à la pesanteur,
provoquant des éclaboussures mielleuses.
Et ça me ravissait.
Vlaaam!!
Fallait se protéger des chocs, parce qu’ils ne viraient pas.
Missiles sol-air;
ils tambourinaient sur ma jonque, frétillant de terreur.
Et ratatat!!
Tambour de guerre.
Rataam!!
C’était la Crimée, les hussards en débâcle;
et voilà les dragons
Sébastopol.
Puis la mer se figea,
les vents flétrirent
et la cavalerie disparut.
J’étais le dernier des cosaques sur la mer Noire,
le dernier des mohicans sur l’océan Indien.
J’avais quitté les hommes
Et ça n’allait pas bien.
Le roulis repris son labeur puis les canons tonnèrent au loin.
J’avais peur des dragons, moi.
C’était la guerre.
Le tangage s’accentua tandis que des flammèches de vents
s’emmêlaient dans mes cheveux.
Tour à tour je vacillais puis je hurlais dans la brise de mer.
A bâbord, à tribord,
Et que ça va et que ça vient
Qu’est-ce que ça voulait dire?
Quelle était cette clameur?
J’avais quitté les hommes.
Qu’est-ce que ça foutait là, ce lourd plafond enflé,
amené par le sud, au-dessus de nous autres,
me couvrant, moi et ma coquille de noix.
Le tonnerre n’en pouvait plus de craquer encore et encore,
et je tressaillais à chaque fois.
Le grain blanc se jeta sur nous sans crier gare.
Vraoum !!
Il nous posséda.
Les vagues déferlantes nous propulsaient de crêtes en creux et de creux en cieux.
Elles battaient les flancs gris de ma felouque.
Il neigeait dans mes yeux,
mais je ne lâchais pas le gouvernail,
oh non, à ce moment là, j’aurais pu broyer les colonnes
de tous les temples de Rome
d’Athènes ou bien d’Egypte entre mes mains.
Je devenais colosse.
Je crachais au milieu de la chiasse blanche, dans l’air lactescent.
J’éructais contre l’écume qui bouillonnait sa mousse,
qui salivait ses lames brisantes, les scélérates, les enragées.
J’étais le pire!
Et de toute ma sincérité, j’y croyais.
Fallait y croire, fallait tenir.
Le palpitant voulait quitter sa cage, s’éparpiller,
Surcouf, Tabarly, dans l’ouragan subtropical
et s’épandre avec lui,
cent colibris apeurés ; mille, dix mille.
Mais je tenais ma barre, hardi.
Et les orages boursouflés avaient beau s’ouvrir des béances magnifiques sur le torse,
se balafrer de lumière en lançant des éclats de rire démesurés
jusque dans le bois de mon vibrant esquif,
se foutant de ma démence,
ils avaient beau faire,
moi j’y croyais.
J’avais quitté les hommes,
J’allais sur mon navire.
Et la tempête passa.
Clapotis familier.
J’ouvris les yeux, plein du crépitement des guerres passées.
J’ouvris les yeux, et je ne pleurai pas ;
rien qu’un peu.
Je décrispai mes doigts, mes pauvres doigts.
J’avais perdu ma boussole, et égaré mon sextant.
La coque de mon caïque était égratignée.
moi aussi ;
pas qu’un peu.
Naufragé sur mon bateau démâté,
Je songeais à cette île, cette elle,
qui m’avait donné ses orages,
à moi,
moi qui avais quitté les hommes.
vendredi 10 septembre 2010
samedi 3 juillet 2010
Kerouac
lundi 21 juin 2010
Nuit sauvage
Nous étions là, sept drôles, sept pirates balafrés qui achetions en bouteilles, de quoi passer des heures extraordinaires.
Ç’allait être notre nuit sauvage.
Qu’est-ce qu’on avait comme allure avec nos défroques fatiguées!
En tête de notre bande de copains, marchait l’athlète, le mangeur de ciel, un géant rigolard avec qui j’étais allé maintes fois jouer au basket sur des terrains défoncés.
Juste derrière lui, bavardaient deux gars, dont un que je connaissais mal, un râblé aux yeux troubles; à la trogne de boxeur triste, de buveur fidèle et de tendre enfant perdu de la ville.
Son voisin, un grand fauve ahuri, traînait sa démence bouleversante dans des habits tout semblables à une improvisation de jazz; le jean bas sur les fesses, le manteau dépareillé, la casquette blonde de joueur de saxo au dessus de ses lunettes folles, avec des traînés de barbe sale en dessous, et des couleurs partout, tout ça comme un grand cri de blues, un collage; un trémolo de Bechet avec les rires de Parker en fond.
Moi j’étais le taiseux, l’ange tourmenté. Mince, mal rasé, mal dans sa peau, planqué sous une casquette de baseball ; et fatigué, encore.
Tous ensembles, on s’emmena sur les quais, sous un pont noir de suie, crachotant et suiffeux, urinant les brunes pensées de la ville jusque dans le fleuve gris.
Je redescendis sur les quais, là où les orphelins insouciants exsudaient toujours leurs idées prodigieuses.
mardi 15 juin 2010
Variation
"Ce soir, je m'émerveille de solitude;
Oh mon rhum oublieux, embrasse-moi.
Le goulot salive, puis me laisse goûter à ses baisers dégueulasses.
Que c'est bon, ces lampées d'espérance qui me glisse dans la gorge.
Les oiseaux effarés s'envolent dans mon ventre,
Me tintinnabulent aux oreilles; virgules vermeilles.
Y a même un môme qui chiale dans mon crâne, craignant les nuées affolées.
Une fanfare se met à dézinguer tout ce qu'elle peut.
Ziiiiing! Le mec aux cymbales envoie des ziiiing tatziiiim et des vriiing à travers mes pensées,
Et ça tempête, et ça déchire, bon sang, que j'aime ça!
Les oiseaux chialent leurs plumes un peu partout;
Mais que c'est drôle cette pluie là, voyez comme c'est beau!
Je m'allonge au milieu des larmes d'or,
Les yeux ouverts, rivés sur le bleu sang des cieux.
Qu'y a-t-il, là-haut, qui m'écrase?
Qu'est-ce qu'elle a fait pour prendre tant de place?"
Yannick Darbellay
Les gerçures
"Comme si la lèpre bouffait mes doigts, c'est drôle. Il faudrait que je sois le seul, pas possible autrement. ça n'existe plus ici.
Ils tombent, les doigts, pareils aux sentences; ça effraie quand bien même on savait que ça devait arriver. Et surtout, c'est irréversible.
Un chien errant, jaune paille, sentant la pisse et la faim, un de ces compagnons d'infortune qu'on plaint autant qu'on craint, se repaît de mes chairs perdues, mes chairs disparues. Je me lèche les doigts comme il se lèche le cul, avec amour, pour apaiser les brûlures.
Il rigolerait bien, le cabot, s'il existait, mais ça n'est pas vrai, ce n'est que le froid qui me gerce les doigts. Dommage. La lèpre a de la gueule, elle est un peu canaille, un rien vieille France et ça plaît.
S'il en était ainsi, je dresserais mon poing glabre vers le ciel qui n'y serait pour rien et qui s'en foutrait. Des larmes noires me ruisselleraient le long des bras jusqu'aux aisselles, se mélangeant à la sueur et aux poils. Et si l'ironie s'y mettait, elle me laisserait le majeur un peu plus longtemps que les autres doigts, le temps d'injurier le monde en silence, sans même y penser.
Alors je marcherais droit, entraînant à ma suite le bâtard jaune aux côtes saillantes, à l'oeil torve, et noir, et rouge, qui me dégusterait morceau par morceau.
Enfin, à l'heure où l'on me mènerait à mon trou, dans un corbillard délirant, le chien galeux fermerait la marche; et me pleurerait sincèrement, lui.
Mais ça n'est que le froid. "
Yannick Darbellay
Kerouac
Dean et Sal, Kerouac
Kerouac, le basket et le jazz...
"C'était comme si le fou, le ténor nègre frénétique de jazz des bas-fonds américains avait essayé de jouer au basket contre Stan Getz et Cool Charlie."
par Jack Kerouac
jeudi 10 juin 2010
Sur la route
lundi 7 juin 2010
Jack Kerouac
Jack embrasse des bouteilles.
Jack s'ensoleille d'alcool, et regarde des dingues,
des oiseaux ivres se marrer aux étoiles.
Jack roule, file, s'enfile des kilomètres;
terrasse ses semelles sur des lignes de béton.
Jack s'injecte de l' Amérique dans les veines, puis,
quand le silence coule, il picole,
écoute du jazz cool, et attrape au vol
des instants solaires qu'il restitue
sur ses rouleaux de liberté.
Il attrape des filles qu'il couche sur des pages somptueuses.
Jack joue de la machine à écrire
comme Bird joue du bop;
libre, juste libre.