Je vous poste une petite nouvelle, parce que je suis un écrivain super cool, quand je ne dessine pas...
Y a rien que des dormeurs. J'ai pas sommeil. C'est pourtant bien ce que je devrais faire, dormir. M'étendre et fermer les yeux.
A quoi pense Sara, en ce moment. Est-ce qu'elle dort.
Elle se grille probablement une cigarette en regardant vibrer les lumières de la nuit. C'est comme ça qu'elle faisait quand nous vivions ensemble.
Au beau milieu de la nuit, il lui arrivait d'ouvrir la fenêtre de notre chambre et de se pencher au-dehors, entre les rideaux diaphanes brusquement agités, afin de sentir glisser sur ses joues des flammèches de brise.
Je crois bien qu'elle réfléchissait. Elle faisait le point, comme savent le faire les femmes, en soufflant la fumée de sa cigarette au loin, démêlant ses pensées.
Son rituel s'achevait lorsqu'elle écrasait sa clope dans le cendrier en terre cuite sur la commode, et qu'elle revenait s'allonger contre moi.
Y a rien que des dormeurs. Il ne reste plus de bière au frigo et j'ai la gorge sèche. Les grosses chaleurs se précisent et les étés, ici, peuvent être suffocants. J'irai acheter de la bière demain, mais en attendant je me contente d'un verre d'eau.
J'ai toujours pas sommeil.
À coup sûr, elle ne dort pas non plus. Peut-être même qu'il n'y a qu'elle et moi qui veillons encore dans la ville harassée de chaleur.
Il m'arrivait parfois de m'éveiller peu après qu'elle se fut levée, la nuit, et j’apercevais sa silhouette immobile, frêle et pensive, devant la fenêtre. À ce moment-là, je feignais de dormir afin de l'observer à son insu, tellement lointaine et différente.
C'est idiot, je me sentais coupable, comme si je lui volais quelque chose de précieux. Je frissonnais, troublé, pris entre la peur et le désir.
Il y a quelques semaines je l'ai interrompue.
-Sara ? J'ai appelé.
Elle a sursauté puis elle s'est mise à rire tout doucement. Elle a écrasé sa cigarette et s'est blottie dans ma chaleur.
-A quoi tu pensais ? Je lui ai demandé.
Elle a ri, elle est devenue tendre. Elle a hésité à répondre.
Sara savait que mes épaules n'étaient pas bien solides, que j'étais un genre d'écorché, mais elle avait le sentiment que j'étais le bon, quelque chose comme son grand amour.
Les femmes ne sont pas explicables.
J'ai trente ans, elle en a deux de plus.
Elle a bien voulu me répondre. Ce soir-là j'aurais mieux fait de fermer ma gueule.
-Papa, a quoi on joue!?
Le monsieur doit avoir mon âge.
-Je discute! Il lui répond.
Assis à côté de moi, sur un banc défraîchi, l'homme discute au téléphone. Ça ne m'étonnerait pas qu'on ne soit pas plus vieux l'un que l'autre.
Ce matin je suis sorti acheter de la bière. En rentrant je me suis arrêté au square puis me suis installé à l'ombre d'un platane pour retrouver mon souffle. Et m'en descendre une.
Le petit me dévisage. Je ne sais pas quoi faire.
Si j'avais un enfant je ferais pas un tellement bon père. Je ne crois pas que je serais tellement bien.
Le monsieur a raccroché. Il m'explique qu'il sort avec son fils pour permettre à sa femme de se reposer. Sa femme est drôlement fatiguée, vraiment. Élever un môme c'est pas facile.
-C'est compliqué. Je réponds.
Je me demande ce que devient Sara.